Limites professionnelles – Une recommandation pour les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario
Le conseil de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario a approuvé la présente recommandation professionnelle le 1er octobre 2020.
La présente recommandation montre combien il est important de respecter les limites professionnelles et fournit des conseils pratiques aux membres de l’Ordre, et ce, où qu’ils en soient dans leur carrière. Elle fixe certains des paramètres professionnels, éthiques et juridiques qui régissent leur pratique. Elle clarifie également leurs responsabilités professionnelles qui consistent à se comporter conformément aux normes professionnelles, à la législation et à la loi.
Elle concerne tous les membres de l’Ordre, y compris les enseignantes et enseignants, les conseillères et conseillers pédagogiques, les directions d’école et directions adjointes, les agentes et agents de supervision, les directrices et directeurs de l’éducation, les membres de l’Ordre qui occupent un poste ailleurs qu’au sein d’un conseil scolaire, ceux qui enseignent dans les écoles privées et indépendantes, ou encore qui occupent un poste exigeant d’être titulaire d’un certificat de qualification et d’inscription.
Introduction
Les membres de la profession passent énormément de temps avec leurs élèves. Cette proximité et ces longs moments passés ensemble leur permettent de bien connaitre leurs élèves, d’évaluer les besoins d’apprentissage individuels et d’y répondre. Cela exige une plus grande conscience de soi et une plus grande sensibilité aux conditions qui rendent la transgression des limites professionnelles possible, que ce soit en classe, en ligne ou dans toute autre situation d’apprentissage ou de supervision.
Les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario comprennent le déséquilibre de pouvoir qui existe entre eux et les élèves, et ils veillent à gérer leurs responsabilités avec respect et intégrité. La grande majorité d’entre eux le font. En tant que professionnels, ils comprennent qu’on s’attend à ce qu’ils fassent preuve de jugement et de bon sens en tout temps. Leurs actions doivent être aussi transparentes que possible et avoir l’assentiment nécessaire des superviseurs et des parents ou tuteurs.
La présente recommandation montre combien il est important de respecter les limites professionnelles et fournit des conseils pratiques aux membres de l’Ordre, et ce, où qu’ils en soient dans leur carrière. Elle fixe certains des paramètres professionnels, éthiques et juridiques qui régissent leur pratique. Elle clarifie également leurs responsabilités professionnelles qui consistent à se comporter conformément aux normes professionnelles, à la législation et à la loi.
Il arrive aussi qu’un enseignant joue divers rôles auprès de ses collègues, des parents et d’autres personnes dans la communauté, et cela peut soulever des questions relatives aux limites. Aux fins du présent document, nous nous cantonnerons aux limites professionnelles entre pédagogues et élèves.
Les enjeux relatifs à l’établissement de limites professionnelles sont complexes. Bien que certains choix soient clairs en termes de ce qu’on peut et ne peut pas faire, il existe des zones grises. Les conseils et les exemples fournis ici ne constituent pas une liste exhaustive des comportements inacceptables. Les membres de l’Ordre ne doivent jamais déduire que les comportements qui ne sont pas spécifiquement interdits sont acceptables, et ils devraient se reporter aux politiques et aux protocoles de leur employeur, ainsi qu’aux ressources du ministère de l’Éducation.
Les limites définissent le professionnalisme
Chaque jour, les pédagogues professionnels encouragent les bonnes relations et les interactions positives avec tous les membres de la communauté scolaire. Il est extrêmement important de comprendre que, quand la ligne de démarcation entre leurs relations personnelles et professionnelles n’est pas claire, leur jugement professionnel peut en souffrir.
La présente recommandation est un recueil de conseils pratiques. Elle tient compte du fait que l’enseignement est complexe, qu’il se pratique au vu et au su du public, et que les aspirations éthiques sont étayées par la structure des directives législatives, juridiques et patronales.
Ce document fait partie d’une série de recommandations de l’Ordre sur l’utilisation des moyens de communication électroniques et des médias sociaux, le devoir de signaler tout signe qu’un enfant est maltraité, et la faute professionnelle d’ordre sexuel. Il sera mis à jour périodiquement pour refléter les changements dans les politiques, la législation et la jurisprudence.
Les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario sont des professionnels qui cherchent à incarner les normes de déontologie de la profession, soit l’empathie, le respect, la confiance et l’intégrité. La recommandation concerne tous les membres de l’Ordre, y compris les enseignantes et enseignants, les conseillères et conseillers pédagogiques, les directions d’école et directions adjointes, les agentes et agents de supervision, les directrices et directeurs de l’éducation, les membres de l’Ordre qui occupent un poste ailleurs qu’au sein d’un conseil scolaire, ceux qui enseignent dans les écoles privées et indépendantes, ou encore qui occupent un poste exigeant d’être titulaire d’un certificat de qualification et d’inscription.
Définir les limites
La National Association of State Directors of Teacher Education and Certification1 – un centre d’échange réputé en matière de décisions disciplinaires touchant les pédagogues –, définit les «limites» comme la distance verbale, physique, affective et sociale qu’un pédagogue doit maintenir pour garantir la structure, la sécurité et la prévisibilité dans un milieu éducatif. Le plus souvent, la transgression des limites est liée au rôle, au moment et au lieu. Le respect des rôles assignés, des heures de travail appropriées et du milieu d’apprentissage choisi permet à tous les membres de la communauté scolaire de se fier à des limites bien établies.
Exemples de transgression des limites, y compris, mais sans s’y limiter :
Communicationnelles
- utiliser un ton non professionnel, être trop familier; utiliser un langage qui n’est pas approprié à l’âge des élèves
- faire des remarques suggestives; utiliser un langage obscène; adresser des compliments inappropriés; faire des remarques racistes, homophobes, sexistes ou fondées sur la capacité physique; utiliser des termes blessants ou humiliants; réprimander à outrance les élèves
- raconter des blagues de nature raciale, culturelle ou sexuelle
- parler de sujets de nature sexuelle inappropriés
- refuser d’arrêter de discuter de sujets à caractère intime ou de nature sexuelle quand une ou un élève le demande
- utiliser les médias sociaux pour communiquer avec les élèves sur des sujets à caractère intime ou de nature sexuelle
- soustraire des renseignements sur le rendement scolaire d’une ou d’un élève pour pouvoir passer du temps avec l’élève
- poser des questions à caractère intime ou de nature sexuelle aux élèves
- envoyer des messages dont le contenu est trop familier ou inapproprié, ou qui empiète sur la vie privée d’un élève
Physiques
- établir un contact visuel inapproprié, comme fixer du regard une partie du corps d’une ou d’un élève, et se tenir à une distance malvenue
- avoir un contact physique inapproprié (p. ex., toucher, étreindre, chatouiller ou masser une ou un élève)
- se livrer à des attouchements injustifiés, non désirés ou inappropriés avec un objet tel qu’un crayon ou une règle
- pousser, bousculer ou frapper une ou un élève
- être présent sans raison valable lorsqu’un élève s’habille ou se déshabille
Affectives
- accorder des traitements préférentiels
- encourager les élèves à développer une dépendance affective que la ou le pédagogue peut utiliser pour bâtir une relation amoureuse ou sexuelle inappropriée
- promouvoir l’idée qu’un pédagogue peut être un ami ou un confident
- choisir exprès de ne pas intervenir quand une ou un élève est en détresse
Relationnelles
- flirter avec les élèves ou leur exprimer des sentiments amoureux de quelque façon que ce soit
- s’engager dans une relation amoureuse ou sexuelle avec une ou un élève
- rencontrer un ou plusieurs élèves seuls, à l’extérieur de l’école ou de tout contexte éducatif et sans en avoir informé un superviseur ou les parents/tuteurs ou sans avoir reçu leur approbation (p. ex., pour aller prendre un café, participer à une activité sociale ou inviter les élèves à une fête)
- utiliser la technologie pour entamer ou continuer une relation à l’extérieur du cadre approprié (rôle, temps, place) où doivent avoir lieu les interactions entre élèves et pédagogues
Technologiques
- utiliser les médias sociaux pour communiquer de manière inappropriée avec les élèves, et ce, quelle que soit l’heure
- utiliser des adresses électroniques personnelles, des sites web, et des technologies ou médias sociaux non autorisés par l’employeur pour communiquer de manière inappropriée avec les élèves
Financières
- cibler des élèves en leur donnant de l’argent ou des cadeaux de manière préférentielle.
Les pédagogues détiennent l’autorité et les élèves leur font confiance pour leur sécurité et leur bienêtre. Lorsque le déséquilibre de pouvoir penche vers la satisfaction des besoins des pédagogues plutôt que vers ceux de l’élève, et que le bienêtre de l’élève est ainsi compromis, les limites sont transgressées.
Les pédagogues peuvent, eux aussi, être vulnérables et susceptibles d’adopter des comportements à risque. Ils peuvent éprouver des difficultés dans leur vie personnelle, avoir besoin de reconnaissance, d’attention ou d’admiration, soit des raisons qui peuvent les pousser à se comporter de manière inappropriée. Il est essentiel d’avoir conscience de sa propre motivation. Les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario ne devraient jamais chercher un appui émotif ou du réconfort auprès des élèves, quelles que soient les difficultés professionnelles ou personnelles avec lesquelles ils doivent eux-mêmes composer. Ils doivent être conscients que leur propre bienêtre influe sur celui de leurs élèves.
La responsabilité revient au pédagogue
Il incombe toujours aux pédagogues de fixer et de maintenir des limites, c’est-à-dire celles qui séparent clairement la conduite professionnelle qui leur permet de répondre aux besoins des élèves et de faire abstraction des opinions, relations et sentiments personnels qui ne sont pas nécessaires pour les aider. La transgression des limites crée une double relation ou un double rôle incompatible avec une relation professionnelle entre pédagogues et élèves. Par exemple, les élèves peuvent confondre l’amabilité avec l’amitié. Non seulement les pédagogues ne doivent pas oublier la distinction, mais ils doivent aussi se rappeler qu’ils ont le devoir continu d’aider les élèves à comprendre la différence.
Les pédagogues qui travaillent avec des élèves ayant des besoins particuliers peuvent avoir besoin d’un contact physique avec eux alors que ce serait inapproprié avec d’autres élèves. Dans la mesure du possible, il est préférable qu’un autre adulte soit présent.
Ceux qui travaillent dans de petites communautés religieuses, linguistiques ou culturelles peuvent également devoir envisager d’autres mesures pour maintenir des limites professionnelles appropriées.
Il est important de respecter la valeur de chaque élève et de faire preuve d’empathie pour son vécu.
Les situations rurales
Le fait de travailler dans de petites communautés peut présenter des défis supplémentaires, car les pédagogues sont plus susceptibles de connaitre les parents de leurs élèves et de socialiser avec eux, et en tant que parents eux aussi, dans des clubs, des associations ou des cercles sportifs comme leadeurs, participants, instructeurs ou entraineurs. Par conséquent, ils auront des raisons légitimes d’assister à un évènement social, de se voisiner et de contribuer au bienêtre de la communauté.
Dans ces circonstances, il faut continuer de veiller à ce que tout contact social avec les élèves se fasse en toute connaissance de cause et avec l’approbation des parents ou tuteurs. Dans les milieux sociaux, un soin particulier doit être pris pour éviter d’être seul avec les élèves et de discuter de leur apprentissage, de leurs progrès ou de toute question relative à l’école.
Un fondement éthique
Les normes d’exercice et de déontologie de la profession enseignante de l’Ordre constituent le fondement de la conduite professionnelle.
Les normes de déontologie que sont l’empathie, le respect, la confiance et l’intégrité inspirent les membres à refléter et à défendre l’honneur et la dignité de la profession enseignante; à établir l’engagement et les responsabilités déontologiques; à orienter leurs décisions et leurs actions; et à favoriser l’inclusion, la diversité et la confiance du public dans la profession.
En outre, la déontologie incarne les principes de confiance et d’équité. Les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario honorent la dignité humaine, le bienêtre affectif et le développement cognitif, et y contribuent. Ils donnent aussi l’exemple en ce qui a trait au respect des valeurs spirituelles et culturelles, de la justice sociale, de la confidentialité, de la liberté, de la démocratie et de l’environnement.
Les cas de transgression des limites qui nuisent aux élèves sont contraires à la déontologie, car ils exploitent la relation pédagogue-élève, sapent la confiance des élèves et de la collectivité envers la profession enseignante, et peuvent entrainer des séquelles psychologiques irréparables aux élèves2.
Dans le cadre de leurs responsabilités visant à assurer la sécurité des élèves, les membres de l’Ordre doivent traiter respectueusement les élèves durant les interactions quotidiennes à l’école ou ailleurs et faire preuve de tact pour donner l’exemple, comme le soulignent les normes.
Responsabilités professionnelles
On s’attend à ce que les professionnels de l’enseignement établissent et maintiennent des relations respectueuses. Ils doivent connaitre la différence entre les côtés professionnel et personnel de la vie, et savoir comment leurs comportements influent sur les élèves3. Par exemple, les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario ne devraient pas avoir de conversations intimes avec les élèves ou parler avec eux de sujets qui touchent à la vie privée. Ils doivent plutôt les aider à comprendre que le fait d’adopter un comportement professionnel amical ne signifie pas qu’ils sont des amis. Le contexte est important, et les principes de prudence et de bon jugement orientent la pratique professionnelle.
Les membres de l’Ordre ne doivent pas utiliser leur fonction professionnelle pour contraindre, influencer indument, harceler, menacer, maltraiter ou exploiter un élève. La familiarité avec les élèves devrait être une force visant à orienter l’apprentissage, et les pédagogues doivent continuer à intervenir professionnellement, au besoin. «Les enseignants compétents sur les plans social et affectif nouent des relations de soutien stimulantes avec leurs élèves4» [notre traduction].
Les limites professionnelles s’étendent au-delà de la salle de classe et de l’école. L’Association des enseignantes et des enseignants catholiques anglo-ontariens affirme que «ce qui peut être acceptable pour d’autres professionnels peut ne pas l’être pour les enseignants, et ce, douze mois par année, sept jours par semaine. Un enseignant est un enseignant en tout temps. Son comportement à l’extérieur de l’école peut également être examiné5» [notre traduction].
La Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, quant à elle, mentionne que «les administrateurs et les collègues doivent reconnaitre les signaux d’alarme dans les interactions des autres et intervenir6».
Considérations juridiques et disciplinaires
L’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario ne tolère aucun mauvais traitement d’ordre sexuel infligé aux élèves, comme en témoigne sa recommandation professionnelle Faute professionnelle d’ordre sexuel. En vertu de la Loi sur l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, les membres reconnus coupables d’une faute professionnelle d’ordre sexuel perdent automatiquement l’autorisation d’enseigner. En outre, si la conduite constitue un comportement criminel et est une infraction selon le Code criminel, le membre en cause peut être incarcéré. Toute autre forme de maltraitance des élèves entraine aussi des mesures disciplinaires pour les membres en cause.
En décembre 1991, le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, qui prévoit notamment le droit de l’enfant d’être protégé contre «toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié». Cela inclut les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario.
Tous les professionnels ont le devoir légal de signaler tout soupçon de maltraitance ou de mauvais traitements infligés aux enfants et le devoir déontologique et moral d’assumer la responsabilité de l’exercice de leur profession. Vous ne pouvez pas être tenu responsable d’avoir signalé vos soupçons si vous avez des motifs raisonnables de le faire et n’agissez pas dans l’intention de nuire7.
Les pédagogues ne doivent pas présumer qu’une conduite qui n’est pas spécifiquement interdite dans ce document est acceptable. L’utilisation inappropriée des moyens de communication électroniques et des médias sociaux, y compris prendre des élèves en photo ou les enregistrer sur vidéo si le contenu est de nature sexuelle peut entrainer des accusations criminelles, une condamnation et des poursuites civiles, ainsi que des conséquences disciplinaires professionnelles. Par exemple, «[c]ette relation suppose que les élèves puissent raisonnablement s’attendre à ce que les enseignants n’abusent pas de leur autorité sur eux ni de l’accès qu’ils ont à eux en faisant des enregistrements d’eux à des fins personnelles et non autorisées8» [notre traduction].
Faire des remarques d’ordre sexuel à une ou un élève par l’entremise des médias sociaux, par exemple, ou partager un contenu d’ordre sexuel en ligne avec des élèves justifierait la révocation obligatoire du certificat de qualification et d’inscription du membre en cause.
Jugement professionnel
Les normes d’exercice et de déontologie de la profession enseignante existent pour orienter la pratique professionnelle et éclairer le jugement professionnel.
L’expérience et les connaissances professionnelles façonnent les décisions et reflètent l’éducation d’un membre, son apprentissage avant l’obtention de l’autorisation d’enseigner et en cours de carrière, ainsi que ses interactions personnelles avec les élèves, les collègues et les membres de la collectivité. Il peut y avoir des moments ou des circonstances qui nécessitent une expertise, des recherches ou des ressources supplémentaires pour perfectionner et étayer son jugement professionnel.
Une réflexion continue est la prémisse d’un bon jugement. Penser de façon critique à sa pratique quotidienne et à la portée de ses décisions sur les élèves aide à approfondir sa compréhension et à améliorer sa pratique. La planification, l’évaluation des situations, l’analyse des risques et la prise de décisions éclairées sont autant de marques que l’on a du jugement professionnel.
Avoir du jugement signifie être responsable de vos actes et faire de votre mieux pour les élèves qui vous sont confiés.
Limites floues ou transgressions
Lorsque les pédagogues deviennent les amis et confidents des élèves alors qu’ils ne jouent pas un rôle pédagogique officiel, les limites se brouillent. Par exemple, les nouveaux enseignants, qui peuvent avoir une moins grande différence d’âge avec les élèves, peuvent considérer à tort leurs élèves comme des pairs avec qui ils ont des champs d’intérêt et des gouts musicaux communs. Cette proximité peut entrainer des comportements à risque, comme le fait de porter trop attention à des élèves en particulier.
Les limites sont transgressées quand ce déséquilibre de force est utilisé à mauvais escient et que le bienêtre de l’élève est compromis. À l’extrême, on trouve le pédopiégeage, processus par lequel une personne en position d’autorité crée intentionnellement un lien affectif fort pour gagner la confiance de l’élève, et ce, en vue d’obtenir une relation sexuelle.
La perception de l’élève est importante. Les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario doivent être très conscients du fait que la diversité culturelle, les différences de religion ou d’orientation sexuelle, les handicaps et les facteurs socioéconomiques peuvent influer sur les perceptions. Ce qu’ils considèrent comme étant bien intentionné peut ne pas être perçu ainsi par les élèves.
Par ailleurs, les adolescents qui en viennent à assumer leur sexualité peuvent flirter avec les membres de l’Ordre ou encourager une relation plus étroite. Dans ce cas, il faut orienter l’élève vers une conduite plus appropriée. Le fait qu’un élève ne s’oppose pas à un comportement inapproprié ne rend pas les choses plus acceptables. Le pédagogue est l’adulte responsable. Les membres de l’Ordre sont encouragés à parler de toute situation de cette nature à l’administration de l’école et à la détailler dans un journal de bord.
La transgression des limites s’écarte du rôle professionnel et nuit aux élèves. Cela constitue une entorse aux pratiques communément acceptées, et cela brouille les lignes de démarcation.
Évitez les contacts inutiles comme les accolades, les attouchements non sollicités ou les attouchements qui peuvent être interprétés comme étant de nature sexuelle. Ne racontez pas de blagues sexuellement suggestives et ne faites pas de commentaires sur le corps, l’apparence ou les vêtements d’un élève. Ne posez pas de questions sur la vie intime des élèves et ne divulguez pas la vôtre. Si une ou un élève dévoile de l’information sur sa vie personnelle, ce n’est pas une occasion de vous livrer à des confidences semblables.
Conseils
- Notez dans votre journal de bord toutes vos rencontres avec des élèves à l’extérieur des heures de cours, par exemple au diner, à la récréation ou après les cours.
- Utilisez un compte (de travail) approuvé par votre employeur, et non un compte personnel, lorsque vous communiquez par voie électronique avec les élèves et les parents ou tuteurs. Comme précaution supplémentaire, pensez à inclure un superviseur, un collègue, un parent ou un tuteur dans la conversation.
- Adressez-vous à la direction de votre école ou à votre superviseur immédiat si vous doutez de ce que vous devez faire.
- Suivez les politiques et protocoles de votre employeur en ce qui concerne l’apprentissage à distance.
- Traitez les élèves de manière équitable. Agissez de façon professionnelle. Restez au-dessus de tout soupçon.
Si vous travaillez avec des élèves individuellement, posez-vous les questions suivantes :
- Est-ce que mes décisions sont bonnes?
- Comment les autres jugeraient-ils mes actions?
- La rencontre en tête-à-tête est-elle essentielle?
- Pouvons-nous travailler ensemble là où d’autres personnes peuvent nous voir, de préférence dans un lieu public?
- Puis-je apporter cette aide pendant les heures normales de cours?
- Est-ce que j’utilise la technologie de communication autorisée par l’école et non un compte personnel de courrier électronique, ou un compte ou plateforme personnels de médias sociaux?
- Mes actions sont-elles connues et approuvées par la direction, la supervision, ou les parents ou tuteurs de l’élève?
- Si une tierce personne me voyait, pourrait-elle mal interpréter mon comportement?
Pédopiégeage
Le pédopiégeage a été défini comme une approche consciente, délibérée et soigneusement orchestrée par le contrevenant. Il consiste à obtenir accès à une victime, à initier et à maintenir de mauvais traitements, et à les dissimuler. Selon le Centre canadien de protection de l’enfance, il s’agit de «manipuler les perceptions des enfants et des adultes dans leur entourage pour gagner leur confiance et leur coopération. Le pédopiégeage est également utilisé pour normaliser un comportement inapproprié par la désensibilisation, pour réduire la probabilité qu’un enfant dénonce et pour réduire la crédibilité d’un enfant qui en viendrait à dénoncer9» [notre traduction].
Certains pédagogues agissant par souci pour leurs élèves interviennent personnellement, mais de manière inappropriée quand même. D’autres, aussi rares soient-ils, ne se soucient pas du bienêtre des élèves et les «préparent», en fait, à une future relation sexuelle. La différence réside dans l’intention, que la police, les employeurs, l’Ordre et les victimes elles-mêmes perçoivent avec le recul.
Dans son étude intitulée Les abus pédosexuels commis par le personnel des écoles primaires et secondaires au Canada, le Centre canadien de protection de l’enfance signale qu’entre 1997 et 2017 :
- 750 cas ont touché au moins 1 272 élèves et 714 contrevenants;
- 87 % des contrevenants étaient des hommes;
- 86 % des contrevenants étaient des enseignantes et enseignants agréés;
- 70 % des cas concernaient un comportement de pédopiégeage (à l’exclusion des cas de pornographie juvénile);
- 75 % des victimes étaient des filles (69 % au secondaire, 17 % à l’intermédiaire et 14 % à l’élémentaire), et 25 % étaient des garçons (69 % au secondaire, 20 % à l’intermédiaire et 11 % à l’élémentaire).
Un des aspects du pédopiégeage peut consister à cibler les enfants et les élèves qui sont dans le besoin, qui ont peu de confiance en eux ou qui sont isolés ou qui vivent seuls. La technologie et les médias sociaux peuvent rendre la technique plus difficile à détecter.
Le terme «pédopiégeage» (grooming en anglais) n’est pas utilisé dans la législation ontarienne et il est difficile à définir, car il peut inclure de nombreux comportements différents. Toutefois, il apparait dans des affaires de discipline professionnelle, et des éléments du comportement de pédopiégeage sont reconnus dans le Code criminel. Les contrevenants préparent les élèves à subir de mauvais traitements d’ordre sexuel en gagnant leur confiance et, parfois, en gagnant celle des adultes de leur entourage. La technique commence souvent par une amitié, laquelle ouvre la porte à des attouchements (comme des massages du dos), puis à des attouchements sexuels. La dépendance affective ainsi installée conduit à la maltraitance.
«Le pédopiégeage est un processus très délibéré et calculé, même s’il peut parfois commencer de manière assez innocente si un enseignant se questionne sur son rôle. Celui-ci peut développer une relation avec un élève avec les meilleures intentions du monde, mais il peut aussi devenir un prédateur et victimiser l’élève pour répondre à ses propres besoins. Une fois ce stade atteint, l’objectif du pédopiégeur est toujours très précis : créer un lien affectif fort avec un enfant de façon à gagner sa confiance avant d’initier une relation sexuelle10.» [notre traduction]
Les comportements inappropriés peuvent progresser graduellement. Chez les élèves, les signes révélateurs peuvent être des absences régulières de l’école, des mensonges sur les personnes fréquentées et les lieux de rencontre; les élèves peuvent aussi garder des secrets au sujet de textos, d’appels ou de vidéos. Ceux qui sont vulnérables sur le plan affectif, qui éprouvent des difficultés scolaires ou qui vivent des problèmes à la maison peuvent être ciblés.
Un comportement de pédopiégeage peut prendre diverses formes. Par exemple, faire une fixation sur une ou un élève en particulier; lui offrir des privilèges et des cadeaux ou tenter de se rapprocher de sa famille et de ses amis; raconter des blagues ou discuter de sujets sexuellement explicites en faisant semblant d’enseigner. La fréquence et l’intensité de ces actions constituent également des signaux d’alarme.
Le secret est un des aspects déterminants du pédopiégeage, car il sépare l’élève de ses pairs et peut entrainer une perte de rapport avec ses pairs et sa famille. L’élève peut être blâmé ou se faire dire qu’il va avoir des ennuis à cause de la situation dans laquelle il se trouve.
C’est aux enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario qu’il revient d’accroitre leur sensibilisation pour protéger les élèves et éviter que l’aide professionnelle ne devienne trop personnelle. Un comportement qui pourrait ne pas être considéré comme criminel peut devenir un motif de sanction disciplinaire.
Moyens de communication électroniques et médias sociaux
Utilisées de manière réfléchie et appropriée, les nouvelles technologies permettent aux enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario de montrer l’exemple d’une citoyenneté numérique responsable et d’enseigner les programmes d’études de manière innovante et stimulante. La communication numérique peut être utilisée pour enrichir l’éducation, mais il faut faire attention de ne pas dépasser les limites professionnelles. Par exemple, par leur instantanéité et leur simplicité, les textos peuvent conduire à des conversations plus longues et informelles qui deviennent personnelles, puis prennent un caractère intime. Par conséquent, nous incitons fortement les membres de l’Ordre à maintenir leurs interactions en ligne aussi professionnelles qu’en classe.
«La relation entre les enseignants du secondaire et leurs élèves est particulièrement vulnérable à notre époque où l’utilisation des médias sociaux est généralisée, où la désinvolture règne, où le sexe fait vendre et où la cohésion sociale des collectivités est rompue11.»
Les limites comme celles qui concernent l’utilisation de la technologie ne sont pas statiques ni bien définies. Les membres de l’Ordre ont besoin de soutien, de lignes directrices claires en matière de comportement professionnel et d’une formation explicite sur la prise de décisions éthiques et sur d’autres compétences pertinentes, comme la pleine conscience.
Nos conseils aux enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario :
- agissez en toutes circonstances en ligne comme vous le feriez dans une salle de classe et suivez les pratiques et protocoles approuvés par votre employeur en ce qui concerne l’utilisation de l’apprentissage à distance;
- maintenez un ton formel, courtois et professionnel dans toutes les communications avec les élèves;
- refusez les «demandes d’amitié» que les élèves vous envoient et abstenez-vous de leur en envoyer ou de consulter leurs comptes de médias sociaux;
- évitez d’échanger avec les élèves des textos, des numéros de téléphone, des adresses électroniques personnelles ou des photos à caractère intime;
- utilisez uniquement une technologie autorisée par votre employeur pour communiquer avec les élèves;
- ne communiquez avec les élèves qu’à des heures convenables durant la journée en utilisant des plateformes éducatives qui ont fait leurs preuves.
Cadre d’Action et d’Autoréflexion
Reconnaitre
- Reconnaissez le problème potentiel.
- Rassemblez faits et preuves.
Examiner
- Évaluez vos connaissances de la situation et de son contexte.
- Demandez si vous avez besoin d’en savoir plus.
- Sachez ce que l’on attend de vous en passant en revue la recommandation professionnelle sur le devoir de signaler ainsi que les politiques et protocoles de l’employeur.
Signaler
- Consultez un superviseur ou un autre professionnel de l’éducation, selon les besoins.
- Ayez en main le numéro de l’organisme local de protection de l’enfance. Dans certaines régions, vous pouvez composer le 411 et demander les coordonnées d’une société d’aide à l’enfance ou des services à la famille et à l’enfance.
- Rappelez-vous que vous avez toujours le devoir de signaler les mauvais traitements et les négligences dont on vous a parlé en confidence.
Réfléchir
- Connaissez-vous les différents types de limites?
- Avez-vous établi des limites claires et appropriées avec les élèves?
- Que signifient les limites professionnelles pour les groupes marginalisés?
- Comment les notions d’antioppression et d’équité s’appliquent-elles lorsqu’il est question de limites professionnelles?
- Avez-vous rempli vos obligations professionnelles et fait tout ce que l’on attendait de vous?
- Êtes-vous satisfait de vos actions? Que feriez-vous la prochaine fois?
- Avez-vous besoin de formation, de soutien ou de ressources supplémentaires?
- Comprenez-vous la différence entre un dépassement et une transgression des limites?
- Pouvez-vous nommer des comportements considérés comme légitimes qui, dans certaines circonstances, pourraient être perçus comme une transgression des limites?
- Connaissez-vous les éventuelles répercussions juridiques d’actions qui seraient considérées comme une faute professionnelle?
- Comment démontrez-vous que vous vous préoccupez comme il se doit des élèves?
- Conservez-vous un bon registre de vos interactions avec les élèves?
- Reconnaissez-vous les situations qui pourraient s’avérer problématiques comme les conversations et réunions à huis clos ou les rencontres privées avec des élèves ailleurs qu’à l’école? Les évitez-vous?
- Quand vous communiquez avec vos élèves par voie électronique, utilisez-vous la technologie que votre école a approuvée?
- Seriez-vous mal à l’aise si des membres de votre famille, vos amis ou vos collègues lisaient vos communications numériques avec les élèves?
- Savez-vous comment agir si vous êtes témoin d’un comportement que vous jugez non professionnel?
- Avez-vous pris le temps de réfléchir à l’effet de vos actions sur les élèves (préjudice potentiel), sur votre carrière ou sur la perception du public?
- Dans quels cas les transgressions de limites deviendraient-elles du pédopiégeage?
Conclusion
L’établissement et le maintien de limites professionnelles constituent des obligations professionnelles constantes. Développez une compréhension approfondie des normes de déontologie qui régissent votre pratique et vos comportements professionnels, ainsi que des politiques et des pratiques en milieu de travail, afin de protéger les élèves et rehausser leur bienêtre. Soyez conscients de vos propres gestes et de ceux de vos collègues. Apprenez à gérer vos relations privées et professionnelles de manière appropriée.
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